L'Afrique (1987)


Hiver 1987, je rentre malade et déprimé d’un rude périple au Moyen Orient. Avec Carolyne, rencontrée au Canada, nous avions pour projet d’aller travailler quelques mois en Israël dans un kibboutz. J’étais amoureux de Carolyne ; elle prétendait l’être de moi. Le voyage en autostop à travers l’Europe avait déjà révélé quelques difficultés dans notre couple. Carolyne n’était ni autonome ni expérimentée dans les voyages. Ça ne semblait pas poser un problème en tant que tel. Mais je me suis amèrement aperçu que son intention était d’arriver saine et sauve dans un kibboutz où elle y serait en sécurité et prise en charge. J’avais vraisemblablement à ses yeux une fonction de relais, voire d’agent de transit. Je m’étais donc senti malhonnêtement instrumentalisé quand elle m’a dit le jour même de notre arrivée au kibboutz que tout était fini entre nous. En terme d’ego, je suppose que je m’étais senti estimable en tant que bourlingueur démerdard et non aimable en tant qu’homme. Le moral dans les chaussettes, j’avais laissé « ma blonde » (comme on dit au Québec) dans sa communauté et étais parti bosser dans une autre. Mais le cœur n’y était pas. Je n’avais aucun entrain, pas de plaisir à vivre cette expérience communautaire dont je rêvais depuis presque deux ans. Je ne m’étais donc pas attardé en Israël, mon plaisir ayant toujours été largement assujetti à la qualit é de mon univers affectif.

De retour en France ayant échappé de peu à la mort par hypothermie en Grèce, je me suis raccroché à un autre projet, humanitaire cette fois. Ce continent africain qui m’effrayait jadis, je me sentais enfin prêt à l’affronter. A nouveau, le mot « affronter » me semble aussi bien choisi si on considère l’état d’esprit qui caractérise cette période de ma vie. J’avais fait quelques démarches infructueuses pour offrir mon temps et ma bonne volonté à des ONG tiers-mondistes. J’étais contrarié qu’on ne veuille pas exploiter cette apparente générosité. Sans me décourager, je m’inspirai d’une initiative entendue à la radio pour monter mon propre projet d’aide. Il était assez rudimentaire et solitaire, mais il donnait un sens nouveau et porteur pour moi. Ce voyage était en plein dans l’axe de mes valeurs. Il s’agissait simplement de me procurer des médicaments et de les acheminer dans des dispensaires. Par ignorance des problématiques africaines, je m’en tins simplement à ce que la destination fut celle entendue à la radio. Ce serait les pays du Sahel.

Après quelques semaines de petits boulots à Paris, j’étais prêt à repartir pour l’aventure. La plus grande partie des fonds pour ce voyage, je les gagnai d’une façon assez originale en surfant sur une mode. En effet, je passais mes journées dans le métro parisien assis par terre à fabriquer et vendre des bracelets brésiliens. Ce petit business à la sauvette fut assez lucratif. A part une fois où en plus de me faire confisquer mes bracelets, je me suis fait molester par des policiers, l’expérience fut plutôt intéressante. Pour alterner un peu, j’allais chanter et faire la manche dans les rames de métro. Quand j’eus la somme qui me paraissait suffisante, je récupérai assez facilement 17 kg de médicaments auprès d’une association caritative. Je mis le tout dans mon sac à dos et repris la route en avril.

Quand je faisais du stop, la première voiture à me prendre était souvent celle de ma tendre mère. Comme c’était plutôt vers le sud que je partais en général, maman me déposait à la station service de Lisses sur l’autoroute dite du soleil. Elle faisait ce petit crochet avant d’aller à son boulot juste à côté.
Au cas où mes contradictions ne seraient pas encore assez perceptibles, je vais préciser que les villes de départ et d’arrivée sont Paris et Dakar. Ça ne dira peut-être pas grand-chose aux gens de maintenant, mais le célèbre rallye Cotonou-Bruxelles se déroulait à l’époque entre Paris et Dakar.
Me voilà donc parti pour mon Paris-Dakar humanitaire en autostop et en solo. Je ne connaissais quasiment rien de l’Afrique, mis à part quelques clichés télévisuels et touristiques. Je ne connaissais pas grand-chose non plus des problématiques nord-sud et surtout des besoins des populations dites du Tiers-Monde. C’est donc avec une dose substantielle de naïveté que j’ai cheminé vers ce mystérieux continent. J’ai longtemps gardé de ce voyage un souvenir déplaisant. C’est là pour la première fois, que j’ai pris en pleine face toute l’arrogance de mon ethnocentrisme. Dans la lignée des Pères blancs et de certaines perversions néocoloniales, il m’était devenu impossible de ne plus voir la quête de reconnaissance qui m’animait dans la plupart de mes actions.

Dans mon carrefour de début 2006, quelques semaines après l’immersion colombienne, je me replongeai aussi dans d’autres récits de voyage. En relisant le carnet africain, je renouai avec des souvenirs encore un peu plus anciens. Cette lecture m’amena notamment à reconsidérer quelques points que j’avais largement sous-estimés. D’abord, je ne me souvenais pas que cette pénible empreinte ait baigné dans une si rude épreuve physique. A de nombreuses reprises, j’avais souffert dans ma chair. A commencer par l’aventure transsaharienne en plein ramadan. La traversée du Hoggar n’aurait sûrement pas été si dure si les transporteurs algériens avaient pu aller jusqu’au Niger. Mais pendant le carême, aucun camion algérien ne dépasse Tamanrasset.

13 mai 1987, Niger
Une quarantaine de personnes entassées dans deux camions sur une couche de marchandise épaisse d’environ deux mètres. Au sommet de cet amas de sacs informes, nous ne trônons pas. Chacun tente de son mieux de trouver une place où le corps n’est pas trop malmené par le chaos de la piste. Les pannes sont nombreuses. A chaque crevaison, nous descendons pour profiter de l’ombre du véhicule. Quand la nuit tombe, nous ne sommes qu’à 50 bornes de Tam. On ne roule pas la nuit. Alors on s’étale sur le sol. Le marchand de sable a l’air ridicule parmi cette immensité où il vient forcément s’approvisionner. On s’endort facilement. A l’aube, on reprend la piste. 400 kilomètres d’horreur, de souffrance physique et morale. J’en voyais vraiment pas le bout. Après s’être enlisés des dizaines de fois sous ce soleil accablant, on a quand même fini par arriver à In Guezzam, frontière algérienne. L’attente ne me gêne pas trop tant qu’on est hors de ce cercueil ambulant. Puis 25 bornes plus loin, c’est Assamaka, la frontière nigérienne. On prend leurs passeports aux étrangers. Le soleil se couche. Je m’affale par terre et dors jusqu’au petit matin. Fouille et refouille. Beaucoup de temps s’écoule. En début d’après-midi, je comprends que le chauffeur du camion a fini sa mission. Une petite camionnette est là et déjà des gars commencent à embarquer. 5000 francs CFA pour aller à Arlit. Pas de négo possible, ici la concurrence est inexistante. Un point c’est tout, chacun pour soi.
Alors que je pensais avoir fait le plus dur, a commencé la galère la plus infâme que j’aie vécue. 200 bornes à 20 mecs entassés dans un break découvert où chacun marche sur les autres pour essayer de ne pas se faire écrabouiller. Le tout en tentant de se tenir à des barres de fer brûlantes pour que les innombrables chocs soient plus supportables. L’eau qu’on buvait était brune, infecte. Mais elle était quand même la bienvenue.

Même si cette partie du voyage fut physiquement très pénible, la traversée du désert est le meilleur souvenir que j’ai de l’Afrique. J’avais gardé de la traversée du désert de très belles images. Relire ce passage avait surtout attiré mon attention sur le fait que l’ensemble du voyage fut marqué par une énorme fatigue. C’est donc sur un corps fragilisé que s’est abattu le chaos psychique qui suivit.

19 mai, Burkina Faso
J’espère toujours lier le plaisir à la mission que je me suis donné. Hélas, pour l’instant, le climat n’est pas vraiment réjouissant. Mes contacts avec les Africains ne sont pas très chouettes, ce qui ne compense pas les problèmes rencontrés avec les médicaments.
A la douane burkinabé, des documents m’ont été remis. Je suis tenu de les remettre à Ouagadougou aux autorités compétentes. Interdiction formelle de dispatcher des médicaments de façon anarchique sur le trajet. J’ai 72 heures pour me rendre à Ouaga. Pourquoi pas… Ces tracasseries administratives ne sont pas bien graves. Ce qui me contrarie davantage c’es mon incapacité à créer un lien humain de qualité avec les Africains. Je ne parle hélas aucune langue africaine. Je pense que c’est une des clefs de mon malaise. A part des rapports d’argent, je n’ai aucune communication. En fait, je ne comprends pas ces gens. C’est ça, le problème. Ou plutôt non ; c’est la conséquence. Parce que pour les comprendre, il faudrait que j’arrive à discuter avec eux. Mais en brousse, le peu de gars qui pratiquent un peu le français ne parlent que des prix de ce qu’il veulent me vendre. Les relations sont très superficielles. En ville, le rapport est faussé par un antagonisme de couleurs et de cultures. Combien de temps faudra-t-il pour rendre délébiles les marques de la colonisation ? Soit le racisme réactionnel est frontal et agressif, mais ce n’est pas si fréquent. Soit il y a une espèce de truc qui ressemble à du respect mais qui est plus proche d’un reliquat de rapport de force dans lequel le blanc est présenté comme celui qui a le savoir, la culture, l’argent. Les coopérants semblent entretenir et jouir de cet archaïsme. Pour ma part, j’exècre qu’on m’appelle « patron », « chef » ou « le blanc ». A la limite, c’est le très gauchiste « camarade » des Burkinabés qui me déplait le moins. Il arrive aussi parfois qu’on me siffle sans que je sache bien si c’est aussi péjoratif que par chez nous.
Je suis parfois proche de désespérer mais je ne veux pas renoncer à entrer en contact avec le peuple africain. Mais les jours passent…/…

22 mai
É coeuré, vraiment dégoûté ! J’en ai marre. Marre des Africains, marre des « coopérants » qui ont si mal choisi leur nom. Marre des militaires, des politiciens, des cons, des salauds. Dégoûté de la race humaine. Les gens m’écoeurent. Tout pue la haine, ici. Pas une parcelle d’amour à l’horizon ! La cupidité prend le pas sur tout. Aider les gens, quelle blague ! Ça me ferait sûrement beaucoup rire si j’avais pas tant envie de chialer. Je sais même plus quoi foutre de mes médicaments à Ouagadougou. Si je les laissais sur le trottoir, je suis sûr que les gens se battraient pour les ramasser. Quel spectacle !.../…

31 mai, Mali
Quelle horreur ! Quel calvaire ! S’il n’y avait pas ces foutus médicaments, il y a longtemps que je serais rentré en France. Hier, après avoir longtemps hésité à remonter vers le nord (le pays Dogon est paraît-il très beau à visiter), j’ai finalement décidé de partir à Bamako et d’en finir au plus vite avec les médicaments. Arrivé à la capitale, j’ai rencontré un Français très sympa. Ça fait deux semaines qu’il est au Mali. Il repart aujourd’hui complètement dégoûté par la mentalité des gens. A la décharge du peuple malien, il n’est allé que dans les grandes villes du pays où il a rencontré beaucoup d’agressivité de la part de la population. Racket, insultes, menaces, vol, mendicité… Ça craint vraiment. Il me racontait qu’en taxi-brousse, ils ont écrasé un cycliste en pleine nuit à 100 km/h. Ça ne m’a pas surpris. Hier, en venant ici, on a renversé un chien. Le chauffeur ne s’est même pas arrêté.
En arrivant à Bamako, je suis allé à l’institut Marchoux voir le médecin qu’on m’avait conseillé à Niamey. Il m’a dit qu’il n’y a pas besoin de médicaments à Bamako et que ce serait mieux que j’aille donner au médecin-chef du cercle de Kailles. Il a pas mal insisté sur le fait que le genre d’actions ponctuelles comme la mienne, c’est vraiment de la merde. C’est pas très agréable à entendre mais plus ça va et plus je m’aperçois qu’il a foutument raison. La misère est presque une institution. Elle semble organisée et faire l’affaire de bien des gens. C’est sûrement une des raisons de l’accueil si froid qu’on a fait à ma démarche. La plupart des coopérants connaissent la situation et semblent désabusés. Je suppose que la plupart ne seraient pas ici si la paie n’était pas si bonne. Et puis il y a ceux qui profitent sans se poser de question.
Ce soir, je discutais avec un Malien qui voulait me vendre sa camelote. Deux mentalités s’affrontaient ouvertement. Je prétendais que la valeur d’un être humain se mesure aux qualités humaines dont il fait preuve. Quant à lui, il affirmait que la valeur d’un homme se juge à son pouvoir social (argent et relations influentes). Voilà ce que les gens prônent ici sans état d’âme. Et si l’occasion se présente de marcher (ou rouler) sur quelqu’un pour prendre sa place, alors on y va franco. Se pouvait-il qu’on dise là-bas tout haut ce qu’on faisait avec plus de raffinement et d’hypocrisie partout ailleurs ?... Je n’y avais que superficiellement songé en 1987. Mais l’expression des rapports de force était tellement claire et arrogante que j’en fus profondément choqué. J’ai mis du temps à me remettre de cette violence étalée et si bien assumée.

6 juin, les réalités du monde me passant exceptionnellement dessous, entre Alger et Moscou
En quittant Dakar aujourd’hui, l’Aeroflot m’a fait sans le savoir un beau cadeau d’anniversaire en m’arrachant au sol africain.
De mes premiers voyages, je n’ai pas oublié les moments difficiles. Mais cette fois, je me sens moralement ébranlé par cette expérience. Je ne vois pas bien comment je pourrais garder un bon souvenir de l’ensemble de cette longue série de galères. Du plaisir, j’en ai eu si peu. Dans mes contacts au Maghreb, oui c’est vrai. Et puis ? Et puis, pas grand-chose. Même quand je donnais des médicaments, ma satisfaction était salie par l’incertitude de leur devenir, même si j’y ai fait très attention. Mais justement, cette méfiance qui m’a parue si nécessaire, elle ronge tout. L’accueil même des médicaments était souvent confus et ambigu.
Je crois que ces médicaments m’ont permis de toucher du doigt les problèmes du Tiers-Monde. Cette découverte est violente. Ces 17 kilos de prétexte étaient objectivement bien peu de chose ; ça je le savais déjà. Ils avaient pour but principal de m’aider à prendre contact avec l’Afrique. Je crois qu’ils y sont un petit peu parvenu. Aujourd’hui, dans l’avion, je survole le monde. J’aimerais à l’atterrissage, ne pas trop survoler l’Humanité.
Je pensais que ce voyage me permettrait de m’orienter vers une aide efficace de plus grande portée, par la suite. Or, je suis fatigué et bien écoeuré. Je ne renonce pas cependant à aider les gens qui souffrent. Je veux me donner du temps pour y réfléchir. Cet impressionnant flot d’expériences mérite d’être digéré avec sérénité. Cet état, je m’en sens si éloigné. Ces derniers temps, j’étais devenu un être hideux, renfermé, amer et parano. Parfois agressif et jamais aimable. Il était grand temps d’arrêter les dégâts. J’ai besoin de me retrouver, de retrouver les miens qui m’ont tant manqué. Mes parents, mes amis, Marie-Hélène…

Jamais aimable, dis-tu, jeune homme ? Jamais apte à être aimé, alors… Besoin d’aller dare-dare retrouver ceux qui ont toujours su te témoigner ces marques d’estime, ces preuves d’amour si rassurantes ? Je m’interroge à travers le temps.

Ne serait-ce pas cela qui m’a tant manqué au cours de ce périple ? Être aimé, voilà un sujet qui n’est guère explicite dans ce récit dont j’ai accouché dans la douleur, il y a trois quarts de siècle. Le contexte ne se prêtait pas tellement à ce que les Africains me témoigne de l’estime, de l’amour. Ils avaient d’autres préoccupations existentielles qui font que l’existence s’appréhende plus en termes de survie que de vie. Et puis, ma démarche était si maladroite. Certes, il y avait d’autres raisons d’être blessé par les drames africains. Mais ce qui m’avait rendu malheureux et inapte à la vraie rencontre, c’était – je peux le dire maintenant – mon incapacité à supporter les formes variées de mésestime. Je suis retourné en Afrique en 2011 avec un besoin moins envahissant d’obtenir la gratitude des gens que j’aidais. La situation ne s’était hélas guère améliorée mais j’y suis allé sans souffrir comme j’avais souffert vingt-quatre ans plus tôt.

L’ingratitude des Africains, le désamour de Carolyne, les réprimandes de mes parents, les mauvaises notes de mes professeurs, mes boutons d’acné dans le miroir… Il est impossible de faire une liste exhaustive de tous ces retours d’image négatifs qui demeurent des agressions pour qui ne s’aime pas assez. Je ne m’aimais pas beaucoup. Et je n’avais ni conscience de cela, ni de tout ce que je faisais pour être aimé par les autres. Quant au lien de cause à effet entre les deux, je ne le soupçonnais en rien. Pourtant, à mon retour d’Afrique, j’ai commencé à considérer la complexité de mes motivations à faire ce voyage. Et ça, ça a fait très mal. Et si j’ai eu si mal pendant le voyage, c’est que cette prise de conscience a commencé sur le sol africain. Ce germe de clairvoyance était trop ténu pour qu’il soit explicité dans mon carnet de voyage dont je dois préciser qu’il était écrit pour être lu. Par qui, pourquoi ? Il était temps de répondre à ces questions-là. Or, même si les réponses affleuraient ma conscience, il n’était pas question de partager ce pesant secret. Pourquoi ? Parce que j’avais simplement honte. Que ce carnet de voyage soit la preuve de mon courage et de mon humanisme, soit ! Mais que je l’écrive pour apporter ces preuves et en être admiré de mon même maigre lectorat, ça non ! Parce que ce genre de calcul porte un nom : l’orgueil !

Comment assumer cela puisque à l’orgueil, il fallait ajouter le mensonge. En effet, si l’orgueil était le vrai moteur de mes actions, alors pourquoi prétendre plus ou moins discrètement que c’est l’altruisme qui me guidait ? Deux bons gros péchés d’un coup !

L’orgueil est à la bonne foi ce que la fausse modestie est à la mauvaise. Cette leçon vaut bien un fromage, Maître Corbeau. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui ne s’écoute pas. V’là-ti pas que Hervé Magnin était allé faire le bon blanc pour sauver les petits nègres !... Tel un retour incontrôlé de boomerang, j’étais parti en sauveur, je rentrais en escroc.

Et comme si la conscience de mon besoin d’être aimé méritait un coup de projo plus lumineux, le retour à Paris m’avait réservé une surprise : Marie-Hélène avait préféré un sédentaire à un nomade, la brouette parisienne au missionnaire dakarois. L’avantage du désamour est qu’il est une source inaltérable d’inspiration. La plupart de mes chansons à cette époque s’était imposée par la souffrance de mes innombrables ruptures amoureuses.


1. Ils ont menti, tes mots
Elle m'a trahi, ta peau
Caresses d'un matin
Tendresse sans lendemain

Pourtant j'ai mis dans nos ébats
Tout l'amour qui était en moi
L'espace entre deux continents
N'a jamais réuni les amants


2. Quand je suis parti, je savais pas
Que, loin des yeux, tu pourrais pas
Croire en l'amour et voir en moi
Que loin du coeur j'ai toujours froid

Mais j'avais mis dans nos ébats
Tout l'amour qui était en moi
L'espace entre deux continents
N'a jamais réuni les amants


3. De rue de Rome jusqu'à Dakar
Je me suis nourri de l'espoir
Que dans tes yeux à mon retour
Je me noierais dans ton amour

Et j'avais mis dans nos ébats
Tout l'amour qui était en moi
L'espace entre deux continents
N'a jamais réuni les amants


4. Si l'Afrique a un goût amer
Paris n'est pas mon univers
Mon coeur a failli faire escale
Mais il s'en retourne en cavale

Même si j'ai mis dans nos ébats
Tout l'amour qui était en moi
L'espace qui sépare les amants
S'ouvre à bien d'autres continents

« Entre deux continents » est une chanson dont j’ai composé la musique au Moyen-Orient. J’en ai commencé les paroles en Europe et les ai finies en Amérique. On voit en quoi elle fut inspirée aussi par mon retour d’Afrique. Alors, pourquoi écrivais-je des chansons intercontinentales ? Pour être aimé sur tous les continents. Pourquoi ai-je écrit tant de livres traduits en plusieurs langues ? Pour être aimé de tous. Boulimique, le gars ? Comme chantait Enrico Macias qui l’assuma si bien, mendiant de l’amour.

Dans toute la ville, on m'appelle le mendiant de l'amour.
Moi, je chante pour ceux qui m'aime et je serai toujours le même.
Il n'y a pas de honte à être un mendiant de l'amour.
Moi, je chante sous vos fenêtres chaque jour.

Pas de honte à ça, donc ? J’avais quelques raisons d’en douter. C’est vrai qu’en l’assumant, il y avait un péché de moins à porter. Pas besoin de mentir quand on dit haut et fort, quand on crie, quand on chante « Aimez-moi ! ». J’exprime mon envie, mon besoin. A charge aux autres de me donner ou pas ce que je demande. Tout cela, c’est vingt ans avant la publication de « J’veux qu’on m’aime ».

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