Présentation
Les voyages, c’est une période très circonscrite de
ma vie. Pendant environ quatre années, cette « activité »,
cet art de vivre a occupé la majeure partie de mon temps. Le déclencheur
de cette période est assez insolite et inattendu. Je le raconte
dans mon autobiographie. En voici un extrait pour introduire quelques
bouts de récits
de voyages :
… /… L’audace, le courage avaient
déjà bonne presse
en ce temps-là. Et j’espérais ne pas en manquer.
Alors, de 22 à 26 ans, j’ai baroudé. Le terme
me paraît
bien choisi. Quand on n’a pas démesurément besoin
de reconnaissance, on voyage. En revanche quand on a névrotiquement
besoin d’être aimé, on baroude, on compte les
kilomètres,
on collectionne les pays. On ne visite pas ; on fait. J’ai
fait l’Afrique,
j’ai fait les US… De la même façon, on peut
réussir
dans la vie ou bien se réaliser dans sa vie ; être promu
ou bien acquérir des responsabilités plus stimulantes
; être
une vedette ou bien s’épanouir dans son art ; être
un bon coup ou bien aimer avec talent… Bref, j’ai baroudé.
L’idée de barouder m’était venue assez étrangement.
A 21 ans, j’avais pour loisir l’escalade. Je sous-estimais
volontiers les risques de cette pratique et lors d’une chute, je
me suis luxé et fracturé le coude. La rééducation
fut lente et laborieuse. Les kinés ne parvenaient pas à me
faire récupérer toute la fonctionnalité de mon bras
droit. Il me manquait bien 20 degrés d’extension et plus aucun
progrès ne se faisait sentir. Pas de bol ? Faut voir… Durant
cette pénible et stérile période de rééducation,
j’ai été convoqué par le Ministère de
la Défense pour « faire mes trois jours », comme on
disait. Il y a bien longtemps qu’on ne fait plus de service militaire
mais en 1984, l’État français avait bel et bien l’intention
de me prendre un an de ma vie pour être prêt à faire
la guerre. Cette perspective m’effrayait. Le pacifiste extrémiste
que j’étais ne soupçonnait pas qu’il pouvait
y avoir des paix qui ne paient guère. Mais mon antimilitarisme,
primaire et non-militant, ne m’aurait pourtant pas poussé à être
objecteur de conscience. Alors, j’attendais sans trop y penser que
le couperet tombe. Je n’ai mesuré l’ampleur de cette
peur que quelque temps après avoir été réquisitionné à Blois.
Avant cette convocation, j’ai essayé de tirer parti de mon
infirmité en constituant un dossier médical en vue d’une
réforme. L’hôpital m’a bien gâté puisque
les tomographies ont virtuellement coupé mon coude en rondelles
pour faire apparaître de magnifiques photos des nombreux fragments
d’os qui empêchent encore aujourd’hui mon vieux bras
de s’ouvrir complètement. Ce handicap médicalement
avéré m’a permis d’être exempté S5,
la totale... Membre supérieur invalide. Bingo ! Je rentre à la
maison.
En ce temps-là, j’étudiais à la fac à Paris.
J’avais une petite chambre d’étudiant dans une cité minable
de banlieue. Je n’étais passionné par rien. J’avais
choisi de faire des études universitaires, histoire de tirer parti
de mon bac laborieusement extirpé de ma paresse. J’étudiais
les Arts Plastiques. J’aimais bien la matière, mais pas la
façon de l’enseigner. Et je n’avais pas la maturité d’apprendre
par moi-même.
En quittant la caserne, ivre de joie qu’on n’ait pas voulu
de moi, je m’apprêtais donc à reprendre cette vie étriquée
de jeune un peu paumé qui ne s’épanouissait ni dans
ses études ni ailleurs. Dans cet enclos militaire, j’avais
vécu deux jours dans l’angoisse à l’idée
de subir pendant 365 jours l’autorité soldatesque que je devinais
rigide et avilissante. Mon frère en avait bavé malgré sa
bonne planque de prof de gym à Paris. Pour échapper à l’angoisse,
mon casque de walkman n’avait guère quitté mes oreilles.
J’avais fait tourner en boucle la musique très éthérée
d’un groupe québécois que je me serais fourré en
intraveineuse si je l’avais pu. Les cinq saisons d’Harmonium
m’ont délicieusement abruti pendant ces deux jours.
En prenant le train, grisé par ma libération des obligations
militaires, j’avais toujours le casque sur les oreilles. Les yeux
fermés, les pieds sur la banquette d’en face, j’ai laissé le
train me bercer en écoutant ma musique adorée. Très
tôt pendant de ce court voyage, toujours les yeux fermés,
une image est apparue sur l’écran de ma conscience. J’étais
assez imaginatif et n’avais pas bien les pieds sur terre ; je suppose
que cette image était ce qu’on appelle un rêve éveillé.
Ce
que j’ai vu, c’est un mur. Un peu comme ce mur de brique
qu’on voit dans le film d’Allan Parker, baigné par la
musique des Pink Floyd. The wall. Il se peut que j’aie vu le film
quelques mois auparavant, peu importe. Au début, assis dans le train
les yeux clos, je n’ai vu que ce mur. Puis, je l’ai vu se craqueler
puis se détruire. Et là, j’ai vu ce qu’il y avait
derrière : Rien ! Rien et tout en même temps. Une vaste étendue
avec l’horizon en toile de fond. J’ai trouvé ça
beau. Et je me suis dit deux mots, deux petits mots lourds de sens
: Je pars. Je n’avais jamais envisagé de voyager. Un jour, mon pote
Antoine m’avait dit qu’il avait envisagé de partir au
Brésil. Ça m’avait abasourdi. Je ne comprenais pas
comment on pouvait imaginer tout quitter, partir loin de « tout »,
loin de ces repères si rassurants. J’étais resté dans
cet état d’esprit apparemment très sédentaire,
laissant l’aventure à mes héros de fiction. Et puis
d’un seul coup, un mur s’écroule, une musique me fait
rêver et voilà que je décide de partir à l’autre
bout du monde. Baignant dans une atmosphère musicale obsessionnellement
québécoise, ce sera les grands espaces du Canada. Et ça
durera un an. Voilà !
C’était au printemps. Avec ou sans mon diplôme universitaire,
je partirais en septembre. J’avais tout l’été pour
gagner de l’argent. C’était décidé. Je
ne m’en souviens plus très bien, il y a près de quatre-vingts
ans de cela, mais je crois bien que dans ce compartiment de train qui me
ramenait à Paris, j’ai dû me sentir très vivant
ce jour-là.
Je n’ai pas retenu beaucoup de dates dans ma vie. Le 21 septembre
1985 est l’une d’elles. Mes parents m’ont accompagné à l’aéroport
et je les ai trouvés d’une admirable dignité. Je les
trouve très à la hauteur du texte immense d’une des
plus belles chansons de Jean-Jacques Goldman :
… /… Puisque c'est ailleurs qu'ira mieux battre ton cœur
Et puisque nous t'aimons trop pour te retenir
Puisque tu pars.
Que les vents te mènent où d'autres âmes plus
belles
Sauront t'aimer mieux que nous puisque l'on ne peut t'aimer plus
Que la vie t'apprenne mais que tu restes le même
Si tu te trahissais nous t'aurions tout à fait perdu…/…
Puisque je suis parti, les liens avec ma famille se sont resserrés.
Peut-être avais-je besoin de cette distance pour sentir la profondeur
et la qualité de ces liens. A coup sûr, j’avais surtout
besoin qu’il se passe quelque chose dans ma vie. J’ai même
longtemps pensé que j’avais à ce moment-là de
mon existence, besoin d’un coup de fouet. J’ai du mal à l’exprimer
ainsi aujourd’hui car au cours de ces quatre années de baroud,
je trouve que je me suis effectivement beaucoup fouetté. Et quand
je pense à cette peau tendre et ferme, il me vient plus de la tendresse
que de la violence. Mais de fait, il est évident aujourd’hui
que j’avais à 20 ans, besoin de me faire violence. J’avais
fantasmé depuis l’enfance sur des fictions et aussi quelques
réalités anthropologiques vues à la télé,
qui faisaient que la vie des hommes est marquée par des rituels
initiatiques. Mais en banlieue parisienne, on ne m’a jamais demandé d’aller
tuer un lion et d’en revenir plus grand. Je n’ai pas souvenir
que ma communion solennelle et mon bac m’aient rendu plus grand.
Les rituels européens du 20ème siècle me semblaient
bien pâles. Ils ne convenaient vraisemblablement pas à ma
fantasmagorie, pas non plus à un vague projet de vie. Alors, je
suis parti chercher ailleurs ce que je ne pensais pas trouver ici.
…
/…
extrait de « Quand j’étais vieux, ou l’inconcordance
des temps »
Mes récits
Le Darien (1989)
Extrait "Après six heures
de pirogue et une demi-heure de marche, on a atteint Pucuro et on m’a
demandé de
combien de guides j’avais besoin pour aller à Paya. J’ai
dit que je n’en avais pas besoin. Le SAHB (South American HandBook)
dit que ce n’est pas vraiment nécessaire. En revanche, des
gens du village sont venus me dire qu’un guide est indispensable,
que je vais me perdre, qu’un gars est revenu à moitié mort. Ça
m’a fait un peu peur ; je suppose que c’était le but.
Puis dans leur élan intimidant et commercial, ils ont ajouté une
information cruciale. Normalement, à cette époque de l’année,
le sentier pour Paya n ’est pas tracé..."
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le récit complet
L'Afrique (1987)
Extrait " Ce soir, je discutais avec un
Malien qui voulait me vendre sa camelote. Deux mentalités
s’affrontaient
ouvertement. Je prétendais que la valeur d’un être humain
se mesure aux qualités humaines dont il fait preuve. Quant à lui,
il affirmait que la valeur d’un homme se juge à son pouvoir
social (argent et relations influentes). Voilà ce que les gens prônent
ici sans état d’âme. Et si l’occasion se présente
de marcher (ou rouler) sur quelqu’un pour prendre sa place, alors
on y va franco. Se pouvait-il qu’on dise là-bas tout haut
ce qu’on faisait avec plus de raffinement et d’hypocrisie partout
ailleurs ?..."
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